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Idir: agréable voyage dans l’âme kabyle

Affiche des Productions Nuits d’Afrique

Affiche des Productions Nuits d’Afrique

Idir, la légende vivante de la chanson moderne algérienne d’expression amazighe se produira le 15 mars prochain à l’Olympia de Montréal dans le cadre de la 21ème édition du festival du Maghreb. Il se produira également à Québec le 16 mars avant de partager un souper-hommage à son honneur à Ottawa organisé par la fondation amazighe  Teregwa et l’association ACAOH. Idir est né à Ath Yenni en 1949, en Kabylie. Il a donné vie à’’ A Vava Inouva’’ en 1975, ‘’La France des couleurs’’ en 1999,’’ Identités’’ en 2007 et ‘’Adrar Inu (Ma montagne)’’ en 2013. En somme, il a 40 ans de carrière à son actif. Une carrière marquée par l’authenticité de l’âme kabyle, des chants des berbères du Sud algérien, des musiques du monde et surtout d’ouverture sur les autres cultures et les nouvelles générations d’artistes de tous les horizons. Idir est une œuvre qui se renouvelle tout en demeurant elle-même, car elle est peuplée de sons du terroir amazigh et du discernement qu’il doit à sa sagesse et à sa maturité artistique et politique. Il est à souligner que le groupe Berbanya fera la première partie du spectacle.

Quelques jours avant son spectacle, l’invité des Productions Nuits d’Afrique, en collaboration avec les Productions Revel et le FCNA, a accepté de nous accorder cet entretien via le téléphone de la capitale française, Paris.

 Le 15 mars, vous allez vous produire à Montréal. Ce n’est pas la première fois que  vous veniez au Québec. Quelles sont vos impressions suite à vos passages à la métropole québécoise?

Quand je suis venu la première fois, j’ai trouvé notre communauté en pleine reconstruction et avec les habitudes du pays. J’ai trouvé également que le combat pour l’amazighité a la même puissance, mais pas les mêmes méthodes. Je l’ai trouvé plus cohérent quant aux objectifs à atteindre même si les divergences politiques persistent. Nous avons besoin d’un fédérateur qui pourrait nous réunir. D’ailleurs, ces jours-ci, j’ai rencontré Said Saadi (RCD) et Ferhat Mhenni (MAK) pour comprendre leur point de vue et surtout pour me situer dans ce combat. Il faut souligner que la liberté de l’artiste ne réduit en rien ses convictions et le fait de ne pas suivre une ligne politique donnée ne veut pas dire qu’il n’est pas prêt à donner du sien pour sa cause.

 L’année 2013 est marquée par votre retour avec un nouvel album. Idir était vraiment absent de la scène artistique ?

 Je ne le pense pas. J’ai continué à travailler mon art autrement. Il y a aussi la pression de la maison de disque sur mes épaules. Il fallait que je lui fasse un disque. J’avais une dette envers elle. Il faut rappeler que je ne suis pas venu à la chanson par vocation. Je fais partie de cette génération heureuse d’avoir réussi notre révolution, mais brimée par la politique du pouvoir qui censure sa langue maternelle. La chanson m’a aidé à exprimer mes doléances voire mes revendications. En France, j’ai chanté les thèmes qui me préoccupent comme Tiwizi, Tamazight et l’identité avec d’autres mots. Dans cet album, j’ai effectué un retour à la musique ancienne de mes ancêtres, à l’univers de ma jeunesse et aux artistes talentueux, mais méconnus du grand public.

 Si on parle de votre retour, qu’est-ce que Idir a ramené de nouveau par rapport à son premier album? Seriez-vous comme Kateb Yacine, l’homme d’une seule œuvre? Serait-il difficile de surpasser Vava Inouva?

Idir 150 (c) klaus roethlisberger

Photo de Sony Music

 

Je ne prends pas  »A Vava Inouva » comme cible. Les gens ont fixé certaines choses dans leur mémoire par rapport au premier album, car il a eu un impact très fort. Je revendique  »A Vava Inouva’,et je l’aime, car elle réveille beaucoup de choses en nous. Ce texte de Ben Mohammed a su traduire ce qu’a vécu ou senti notre peuple.

  Quels sont les thèmes qui reviennent le plus dans votre dernier album?

 Il y a trois domaines. D’abord le domaine de la rythmique qui consiste à restituer dans une chanson traditionnelle les sons tels qu’ils étaient. Il m’a fallu entreprendre de longues recherches pour retracer le timbre tel qu’il était. La chanson ‘’Said Oulamara’’ que ma mère m’a transmise est un parfait exemple de cette recherche. Donc, j’ai fait une sorte de panorama des règles de la rythmique traditionnelle kabyle avec des instruments authentiques (Tbel ou bendir et la flute) loin des instruments modernes comme la percussion. Il fallait donc préserver l’ancienne frappe et la réussir comme dans la chanson Wiz araneq. Ensuite,  j’ai repris à ma manière des chansons qui ont bercé mon enfance. J’ai adapté une chanson irlandaise du 17ème siècle ‘’ Scarborough Fair ‘’ (Targit),  et un chant du groupe de rock britannique Les Who ‘’ Behind Blue Eyes’’(Ayen i nessarem),  en leur donnant une âme kabyle avec le bendir et les accords kabyles. J’ai enfin rendu hommage à Ahcène Mezani. C’était un grand artiste kabyle qui a vécu dans les années 40 et 50 en France, mais qui aurait fini mal sa vie en Algérie en 1984. Il aimait les bals des samedis soirs. Pour ce faire, j’ai sollicité la collaboration de la sœur de mon guitariste pour Tibougharines.

Que pensez-vous de la situation de la cause amazighe?

 J’étais un étudiant révolté. J’ai grandi dans l’ambiance des thèmes en vogue comme la libération des peuples et leur souveraineté. C’était l’époque de Che Guevara. Et nous, nous luttions pour affirmer notre amazighité et la vivre. Mouloud Mammeri disait souvent qu’une identité se vit. La lute a évolué et a amplifié sa vitesse contre les gouvernants depuis les années 1980 notamment. Ceci étant dit, il ne faut dénaturer la réalité. On n’a pas été gazé en Algérie. Il faut avoir du discernement quant à cette question. Aujourd’hui, on a un passeport algérien, mais Tamazight n’est pas encore consacrée officielle dans la constitution. Aussi, on crée une chaine de télévision qui n’est autre qu’un piège  pour tromper les gens et non pas pour servir Tamazight. Cette télévision dite amazighe véhicule la religion et une planète qui n’a pas de sens. Franchement, notre culture et notre identité courent un grave danger. Je ferai mon possible pour mieux servir mon identité et lui donner toute la visibilité qu’elle mérite.

La femme occupe une place très importante dans vos chansons et ce depuis votre premier album. Pensez-vous que le statut de la femme kabyle a évolué depuis votre chanson ‘’Weltma’’ (Ma sœur) et si c’est le cas en quoi?

 En Algérie, la femme kabyle continue à subir toutes sortes de pressions. Le pire est que le voile ne cesse de prendre de l’expansion même à Tizi-Ouzou. Point de silhouettes des femmes kabyles d’antan. Le voile et l’idéologie qu’il véhicule sont en train de faire leur chemin. Notre société est matriarcale. Donc, tout passe par la femme, mais elle ne peut disposer d’un héritage de peur de déstabiliser la cellule familiale, voire le village. Cette femme qui est dépositaire de la culture et de l’identité subit les pires souffrances. D’où la contradiction flagrante. Les femmes le savent, mais elles sont aliénées. Elles font avec. D’ailleurs, même ailleurs comme dans des banlieues parisiennes, les filles réussissent mieux que les garçons, Ces derniers, pensant qu’ils ont tout, ne se cassent pas la tête et ne font pas beaucoup d’effort pour se construire.

 La Kabylie demeure, malgré les problèmes qui la rongent, une source d’inspiration pour ses enfants. L’est-elle encore pour vous ?

 La Kabylie non. Son histoire oui. Aujourd’hui, les parcours s’éloignent. Les mentalités aussi. Les codes ont changé. La liberté de culte est inexistante. Les valeurs d’avant ont disparu. Personnellement, j’ai évolué ailleurs. À l’extérieur, je travaille avec les occidentaux, les Français notamment, mais, une fois rentré chez moi, je suis en Kabylie. Le resserrement des libertés est un fait en Algérie. Le pouvoir a orchestré la décomposition de la culture et de l’éducation. Parler du ciel bleu ou du développement durable relève de la fiction. La mosquée s’occupe d’autre chose. En 1962, on s’est attaqué à la langue française pour ne pas être français, mais on a épousé la langue arabe pour être arabe ou s’allier aux Arabes. Tout ça a donné vie à une génération hybride.

 Ces 10 dernières années, Idir  associe pas mal d’artistes et de cultures dans ses productions. Pourriez-vous nous en éclairer?

 Il est vrai que quand on chante dans une langue minoritaire, on n’a pas accès à un large auditoire. Du moins il est difficile d’y accéder. Un jour, j’ai rencontré une femme chez Sony qui m’a dit : «  Il te faudrait un disque avec des gens connus et tu seras doublement gagnant. Tu auras de la visibilité et tu auras ainsi le pouvoir de parler de ta culture. » C’est ainsi que j’ai rassemblé des grands noms comme Goldman, le grand corps malade pour ne citer que ceux-là et j’ai partagé avec eux mes expériences en tant qu’artiste et en tant que Kabyle.

 Qu’est-ce qu’elle vous apporté cette ouverture en tant qu’artiste et en tant que Kabyle?

Cette expérience m’a appris également à concevoir la musique autrement que d’une façon horizontale. Les jeunes la font verticalement.

 Ces derniers temps, vous vous produisez en compagnie de votre fille. Pensez-vous que vous lui avez contaminé votre virus artistique?

 C’est un plaisir de jouer avec ma fille. Ma fille a fait également du théâtre. Aussi, montrer une jeune fille entrain de jouer du piano loin des clichés entretenus fait la différence. Je l’encourage à vivre sa passion. D’ailleurs, elle a eu un prix pour sa première composition  pour la musique de ‘’Sans ma fille’’. Elle aime la Kabylie et s’intéresse de très près aux thèmes traditionnels kabyles.

  La mère, que représente-t-elle pour vous?

 Elle représente tout. Cette femme était ma mère, mais aussi une grande poétesse. Ma mère et ma grand-mère m’avaient beaucoup influencé. J’ai vécu avec elles des moments inoubliables. Quand je revenais de l’école, même mes études je les faisais avec des bougies, elles nous racontaient des contes et des légendes. Je les ai toujours charriés. Ma mère est en moi.

  Parlez-nous de votre collaboration avec Enrico Macias?

 Il est venu me voir avec un musicien et on a échangé nos points de vue sur l’histoire des Berbères. Il m’a exprimé le vœu de chanter quelque chose en berbère. On a donc choisi la chanson ‘’Snitra’’ (Ma guitare)  et j’ai dû changer quelques mots qui sont durs à prononcer pour lui. On n’a pas le droit de lui dénier son appartenance à cette terre algérienne avec son sang et ses larmes. Il y est né. Tout n’est pas noir ou blanc. Je ne suis pas forcément d’accord avec ses idées politiques et je garde toujours ma position vis-à-vis de la question palestinienne. En démocratie, on ne peut pas avoir les mêmes points de vue sur certaines questions. Nous avions eu une collaboration purement artistique.

Dans vos œuvres, on voyage entre les traditions kabyles et l’ouverture sur l’époque et sur le monde. Comment peut-on entreprendre un tel périple en demeurant soi-même?

Idir 172 (c) klaus roethlisberger

Photo de Sony Music

 

C’est simple de suivre le fil conducteur en étant fidèles aux valeurs des ancêtres qui pourraient me conduire vers la lumière. Ça me permet de demeurer moi-même, attaché à mes racines. Je m’enrichis des autres, mais je ne change pas d’identité.

Djamila Addar

Montréal, 4 mars 2013

Visitez Taghamsa, le blog de Djamila Addar

Les liens:

http://www.festivalnuitsdafrique.com/serie/festival-de-musique-du-maghreb

http://www.festivalnuitsdafrique.com/spectacle/idir/15/mar/2013

Tiregwa (tamazgha.ca)

Association ACAOH (acaoh.ca)

Idir en spectacle à Montréal

idir

Vendredi 15 mars 2013

Configuration de la salle : Admission générale debout au parterre, sièges assignés au balcon

Ouverture des portes: 19h
Heure: 20h30

Tarifs (Taxes incluses, frais de services en sus):
Régulier: 48$ pour billets en admission générale au parterre
Enfant 12 ans et moins: 25$ pour billets en admission générale au parterre(tarif disponible pour achats téléphoniques et en personne uniquement)
Balcon: 56$ pour les billets assignés au balcon

Homme discret aux valeurs fortes, le grand poète Idir présentera un spectacle à la hauteur de ses convictions. Écrites en kabyle ou en français, ses chansons inspirées de l’identité, de l’amour, de la liberté et de l’exil ont une portée universelle. À travers plus de 30 ans de carrière, il a su captiver et séduire un public immense par ses mots et par sa musique aux sonorités entremêlées des guitares, flûtes et autres darboukas. Pas étonnant qu’on lui ait réservé une place bien spéciale au cœur du 21e Festival de musique du Maghreb!

Hommage à Slimane Azem le Samedi 26 janvier à Montréal

A l’occasion du 30ème anniversaire de la mort du maître de la chanson Kabyle Slimane Azem, la fondation Tiregwa,

et pour la première fois en Amérique du nord, lui rend un hommage le Samedi 26 janvier 2013 à Montréal avec un programme riche qui comprend:

Première partie: 13h-17h

– Exposition photos et projection d’un nouveau documentaire sur Slimane Azem.
– Conférence-Débat avec Dr. Hacene Hireche, enseignant de langue et civilisation berbères à l’université de Paris VIII. Le titre de la conférence est: Clin d’œil à Slimane Azem, grand poète Si Muhendien.

– Lieu: La Société Saint-Jean-Baptiste, 82, rue Sherbrooke Ouest, Montréal (Québec) H2X 1X3.
– Métro: Place-des-Arts.
– Admission: Gratuite

Deuxième partie: 19h-23h30

– Gala avec plusieurs chanteurs/chanteuses, poètes/poétesses et chorales d’enfants qui vont chanter et dire Slimane Azem.
– Heure: 19h00
– Lieu : Théâtre Le Château 6956, rue Saint Denis, Montréal.
– Métro: Jean Talon.
– Admission: 15$
– Points de vente des billets:

o Salon Tikdjda: 3880 Rue Belanger, Montréal. Tél. 514 691 8222
o Les Trésors sucrés : 3640 Rue Jean Talon, Montréal. Tél.: 514 223 2174
o Tiregwa: Pour les résidents d’Ottawa/Gatineau. Tél: 613 897 7347
o Sur Place le jour du spectacle.

Il est à noter que pour permettre aux parents des enfants d’apprécier la soirée-hommage, une garderie gratuite sera disponible sur place avec des éducatrices qualifiées.

– Participants:

o Salah Ait Gherbi (Montréal)
o Zahia (Montréal)
o Rabah Kadache (Montréal)
o Farida Eldjama (Ottawa)
o Hacemess (Montréal)
o Adil Hajila (Varennes)
o Nacer Djennadi (Montréal)
o Zahir Ouali (Gatineau)
o Hakim Kaci (Montréal)
o Smail Hami/Mourad Itim (Montréal)
o Yacine Kedadouche (Montréal)
o Brahim Sedik (Montréal)
o Rezki Grim (Montréal)
o Mohand Deflaoui (Laval)
o Les enfants de l’école de Tamazight Ottawa-Gatineau (ACAOH)
o Les enfants de l’école de Tamazight de Montréal (INAS).

Qui est Slimane Azem?

Slimane Azem, est un poète et chanteur Amazigh. Il est né le 19 septembre 1918 à Agouni Gueghrane en Kabylie et décédé le 28 janvier 1983 à Moissac en France. Il quitta son village très jeune à l’âge de 11 ans pour travailler chez un colon pas loin d’Alger. Il arrive en France à l’âge de 19 ans, où il a travaillé à la Régie Autonome des Transports Parisiens. Après quelques années de travail obligatoire imposé par l’Allemagne nazie, il prend un café en gérance à Paris. Il s’y produit les fins de semaines pour chanter aux immigrés la nostalgie et les tourments de l’exil à l’instar de sa première chanson, A Muh a Muh, qui paraît dès le début des années 1940. C’est le prélude à un répertoire florissant qui s’étend sur près de 50 ans. Ses chansons traitent essentiellement des problèmes de ses compatriotes immigrés, de l’occupation française pendant la guerre d’Algérie, et de la dictature post-indépendance ou il fut très critique à l’égard du régime algérien. Il sera en conséquence interdit de diffusion sur les ondes algériennes entre 1967 et 1988. Il décède le 28 janvier 1983 à Moissac en France, où il est enterré, le pouvoir ayant interdit son retour en Algérie.

 

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La ligne éditoriale de Radio Numydia est d’oeuvrer pour la promotion de notre culture et est à but non lucratif. L’équipe des bénévoles se compose de Madjid Ben Belkacem (ancien animateur ch2, Canada), Zakia Ait Said (ancienne animatrice BRTV, Belgique) , Tahar Mokhtari (ancien président du mouvement associatif tandlest, Tunisie), Mhend Nait Djoudi, France), Lamia Dendani (fille de cherif nadir ,Angleterre), Aldja Harbi et Sonia Ladjadj (Née Ait Ahmed) et ses enfants zineddine et camelia (USA).

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Origines de Radio Numydia

L’idée d’une radio sur le web en Amérique du Nord, a émergé pour la première fois lors des émeutes de la Kabylie survenues en Avril 2001. Radio Numydia est née en 2008 de la dynamique engendrée par Sonia Ait Ahmed pour le rassemblement des kabyles en Amérique et dans le monde entier. Radio Numydia s’inscrit ainsi dans une dynamique de mouvement amazigh et y trouve une part de son identité.

Radio Numydia, une ouverture sur le monde

Radio Numydia est implantée à Columbus Ohio, dans un pays de liberté d’expression et des droits de l’homme. Mais plus encore, elle est une radio ouverte sur le monde et sur les peuples amazighs qui l’habitent. Sans être une radio « militante », Radio Numydia ne peut ignorer la dimension politique dans laquelle la Kabylie et le peuple kabyle restent un carrefour où passent et se croisent de nombreux acteurs du mouvement social. Radio Numydia est un relais des résistances et de la critique de la
mondialisation en même temps qu’un lien avec l’actualité et les initiatives locales sociales et culturelles.

Dons:

Il y a paypal sur le site qui est lie directement au compte de la radio et non pas mon compte personnel, et pour les chèques dont les sommes inferieures a 200$ m’ont été refuses a la banque et retourne. L’adresse: Radio Numydia, 1157 Onslow Dr, Columbus Ohio 43204 USA

MATOUB LOUNÈS : L’ART, L’ARTISTE ET LA SOCIÉTÉ – DESTINS HÉLÉS, DESTINS MÊLÉS

On est en droit d’espérer une halte qui puisse permettre un regard lucide, franc et dénué de l’esprit exclusivement commémoratif sur le legs de Matoub Lounès. En d’autres termes, quand est-ce qu’on pourra célébrer l’artiste dans toute sa dimension et le sortir de cette tour d’ivoire de rebelle qui statufie le personnage plus qu’elle ne sert son image ? À bien y réfléchir, la position de rebelle se lit dans tout Matoub. Rebelle au silence, au texte trop facile, aux images redondantes qui revenaient souvent dans l’ancienne chanson ; rebelle à la manière consacrée et ritualisée d’accepter la fatalité.

Il était rebelle à l’ordre établi dans toutes ses variantes et catégories aussi bien dans le domaine artistique et esthétique que dans le domaine de l’engagement social et culturel. Si, aujourd’hui, le mot rebelle paraît quelque peu étroit pour la personne de Matoub, c’est par l’usage exclusivement politique qu’on en fait. L’opposition politique de Matoub contre la dictature du pouvoir et contre toute forme d’asservissement dont les conservateurs et les théocrates formaient le dessein ne souffre aucune équivoque. Par ces chansons et son combat quotidien, il en donné la preuve jusqu’à son ultime souffle. Cependant, l’énergie créatrice et démiurgique de l’artiste – qui lui permet justement cette forme d’élévation – est puisée en lui-même, dans ce regard qu’il jette sur la société, la montagne, les vallons, le labeur de l’homme de peine, l’amant grugé, le soupirant fatigué, l’éternel exilé, l’émigré recroquevillé sur lui-même, la femme de l’émigré – patiente mais toujours triste –, l’homme déchu dans la fange touché par une forme de déréliction humaine, le prisonnier, le condamné à mort, l’homme trahi par ses frères,… Il n’y a pas de situation sociale ou politique que l’œuvre de Matoub a oubliée ou évacuée.

Il semble que le véritable travail sur Matoub reste à faire. Plus de vingt ans d’une carrière fulgurante, vécue d’une façon exaltante à la ‘’vitesse de la lumière’’. Il fallait tout dire. C’est comme si l’artiste avait une forme de prémonition sur un destin qui sera écourté par la bêtise et la barbarie algériennes de la fin du XXe siècle.

Une analyse globale, sereine et méthodique de la poésie de Matoub devra nécessairement ‘’faire la lumière’’ sur cette conjonction heureuse entre la personne du chanteur, le contexte social et politique du pays et le destin de son peuple. Cette conjonction, Matoub l’a voulue présente dans la plupart de ses chansons et le tableau se déroule d’une façon si harmonieuse et si naturelle que l’on a de la peine à imaginer ces destins séparés ou racontés individuellement

Une esthétique de la rébellion

Trop rares sont les poèmes de Matoub Lounès où la vie privée du chanteur est assez éloignée des thèmes majeurs qu’il a eu l’occasion de traiter dans sa courte mais exaltante vie. Au cours d’une carrière artistique qui s’étale sur environ vingt ans – et que seul son destin tragique a pu arrêter à Tala Bounane un certain 25 juin 1998 –, Matoub a carrément bouleversé le cours de la chanson kabyle en lui apportant un souffle nouveau et novateur marqué par la fougue et le rythme de la jeunesse, l’esprit rebelle et une sensibilité à fleur de peau.
Pourtant, en venant à la chanson, il n’a pas trouvé le terrain vierge. Au contraire, une génération post-Indépendance, pleine d’énergie et d’imagination, a pu s’imposer auprès d’un auditoire assoiffé des mots du terroir et des rythmes ancestraux, catégories artistiques niées et malmenées par la culture officielle imposée par le parti unique. Ainsi, Aït Menguellet, Ferhat Imazighène Imula et Idir ont pu se mettre au diapason des aspirations de la jeunesse de l’époque, et le cours des événements a fait d’eux – peut-être à leur corps défendant – des ‘’porte-parole’’ attitrés d’une population déçue par l’ère de l’après-indépendance faite d’arbitraire, de népotisme, de négation des libertés et de l’identité berbère.
C’est dans ce contexte, dont le début de maturation peut être situé vers 1977, année du double trophée de la JSK (Coupe d’Algérie et championnat) qui a vu une jeunesse kabyle enthousiaste et déchaînée cracher les quatre vérités au président du Conseil de la révolution présent au stade du 5-Juillet à Alger. Pour punir la région pour une telle ‘’indiscipline’’, le gouvernement rebaptisa la JSK du nom de la JET (Jeunesse électronique de Tizi Ouzou), sujet qui fera l’objet d’une chanson de Matoub.

Sur ce terrain déjà abondamment fertilisé par une prise de conscience de plus en plus avancée, Matoub évoluera en apportant sa touche et son style personnels et qui se révéleront par la suite comme une véritable révolution dans la chanson kabyle en général.

Après les premières chansons où se mélangent amour, ambiance de fête et rébellion primesautière, thèmes bâtis sur des textes généralement courts et des rythmes vifs, Matoub Lounès épousera la ‘’courbe’’ des événements en s’en faisant parfois le ‘’chroniqueur’’, le commentateur et l’analyste.

Et le premier et le plus important événement que Matoub a eu à vivre dans sa région, alors qu’il était âgé d’un peu plus de vingt-cinq ans, était bien sûr le Printemps berbère d’avril 1980. Pour toute la population de Kabylie, et même pour l’ensemble du pays, Avril 1980 est considéré comme le premier mouvement sortant des entrailles de la population après l’indépendance du pays en 1962. Tout ce qui s’est passé avant cette date – fussent-elles des émeutes – était circonscrit aux luttes du sérail et était géré en tant que tel. Le Mouvement berbère de 1980, qui a commencé en mars et dont le plus gros des troubles s’est étalé sur quatre mois – en vérité, ce Mouvement n’a jamais pris fin et tout ce que vivra la Kabylie des décennies plus tard est frappé du sceau d’avril 80 –, allait constituer le bréviaire et le champ d’action de la poésie de Matoub. L’Oued Aïssi, Si Skikda i t n id fkène, et d’autres chansons aussi émouvantes et fougueuses les unes que les autres, sont le point de départ d’un parcours de chanson engagée que ne démentiront ni le temps ni les événements. ‘’Engagée’’, une épithète certes galvaudée, par le pouvoir politique d’abord – car il place et classe tous ses courtisans, artistes ou autres faux intellectuels, dans cette catégorie tant ‘’convoitée’’ – et ensuite par de médiocres chansonniers à la recherche d’une hypothétique gloire qui viendrait, si c’est possible, de la débordante générosité du sérail. Mais tel que défini initialement, Matoub répond parfaitement- et jusqu’au drame – aux canons de l’engagement.

Partant de ce constat irréfutable, il s’avère que c’est sans grande surprise que l’on découvre à quel point la vie personnelle, et même intime, du chanteur vient se mêler, s’imbriquer et parfois se confondre au destin collectif que Matoub met en scène dans ses poèmes. Et ce n’est pas par hasard que les chansons qui excellent dans se genre d’‘’amalgame’’ volontaire soient les plus volumineuse, les plus longues. Que l’on s’arrête sur Azrou n’Laghrib (1983), Ad Regmegh qabl imaniw (1982) et l’inénarrable A Tarwa n’Lhif (1986). Toutes les trois portent la marque d’une errance de l’auteur – où se mêlent éléments réels et quelques séquences de fiction poétique – associée à l’épopée de toute une région, un pays, une nation.

D’autres textes plus courts adoptent la même architecture : A y ammi aâzizène, ayn akka tghabedh ghef allan ?, Tkallaxm-iyi di temziw, xellasgh awen ayn ur d ughagh, Ugadegh ak Rwin…,

Parcours épique, vision lyrique


Dans le poème Ad Regmegh qabl imaniw (1982) par exemple, nous constatons clairement que presque la moitié du texte concerne la vie personnelle de l’auteur. Il en fait un prélude auquel il associe une mélodie et une musique bien spécifiques. Lorsqu’il prend l’élan pour aborder le joyau du thème du poème, il force la cadence, décrit le parcours et le destin du pays, s’attaque aux faussaires, aux tyrans et aux corrompus. Mais la trace de l’individu – de l’auteur doit-on dire – ne disparaît pas pour autant. L’on a l’impression que Matoub évite et abhorre même la description impersonnelle. Elle rendrait peut-être froid le portrait et moins persuasif l’argument. C’est pourquoi, en filigrane, le narrateur se met toujours en évidence et témoigne, prend acte, prend à témoin, déplore, dénonce, met à nu, fustige, ironise. Dans ce conglomérat d’événements et de situations, le narrateur prend une position clef dans le processus de décryptage.

Dans ce genre de pièces ressemblant à une grande épopée, le lyrisme et la touche personnelle semble dépasser le simple souci du décor littéraire. Il participe d’une vision où le destin personnel n’est pas un simple ‘’prolongement collatéral’’ du fatum collectif. Les deux situations fusionnent pour former une seule contingence conditionnée par l’histoire, la culture et la politique.

Dans son élan de sincérité ordinaire, il aspire à une justice immédiate et la réalise sur-le-champ. Il s’afflige des remontrances et des insultes avant de s’adresser à ses compatriotes pour leur reprocher leur comportement politiquement suicidaire et historiquement sans issue.

Il prend son courage à deux mains et dit avoir ‘’teinté sa figure avec la suie d’un brandon’’, pour signifier qu’il ne reculera devant aucune gêne factice ni aucun sentiment de pudeur mal placée. ‘’Lavons notre linge sale  hinc et nunc (ici et maintenant)’’, semble-t-il suggérer. L’audace et la bravoure de se regarder les yeux dans les yeux réclament d’aller jusqu’au fond des choses et parfois loin dans le temps.

C’est ce que Matoub insinuait dans une autre chanson en déplorant que l’occupation de Fort-National en 1857 par l’armée française relevât, en partie, d’une traîtrise de quelques éléments de chez nous.

Le sort de l’individu tel que décrit par Matoub dans le texte-prélude plonge dans la déréliction humaine : sur lui, le malheur tombe dru comme la pluie d’automne ; il est noirci par les épreuves de la vie et traîne dans la fange. Adverse fortune qui fait de lui un adepte involontaire du mal et un ennemi des belles choses. Errant pieds nus par les bois et maquis, il n’a su distinguer la lumière des ténèbres ; sans progéniture, il se voit déjà sans héritier. Brisant toutes les brides qui l’entravaient, il décide d’aller quêter la vérité sur le pays et ses héros injustement exilés ou assassinés. Ici, les allusions sont à peines voilées. Mais pour ceux qui ont suivi les événements des années 1960 et 1970, ce ne sont plus des allusions ; ce sont des repères spatiaux et chronologiques. Matoub prend son bâton de pèlerin et se rend à Madrid où fut tué Mohamed Khider, un héros de la révolution algérienne. De là, il compte révéler les lugubres scandales des autorités politiques algériennes qui ne savent réduire le rival politique qu’en le trucidant. Le périple conduit le narrateur en Suisse où est censé être déposé l’argent de la nomenklatura acquis par la rapine et la corruption. De là, il passe en Allemagne où le grand révolutionnaire Krim Belkacem, exilé dans ce pays, fut étranglé dans sa chambre d’hôtel par des ‘’inconnus’’.

Le texte se poursuit par un réquisitoire contre le régime du parti-État qui avait confisqué les libertés, la dignité et l’identité des Algériens. Les votes organisés par le FLN étaient des scrutins à la Naegelen, soit comme le dit la gouaille populaire de l’époque : ‘’un vote massif pour oui bessif’’. Mais Matoub ne ménagera personne. La désunion et les éternelles rivalités  entre les Kabyles ont fortement contribué à installer chez eux la débandade et la défaite.

Dans la veine du texte de Ad Regmegh qabl imaniw, Matoub a su élaborer d’autres chansons d’inégal volume tout au long des années 1980 et 1990. A chaque fois, le nouveau contexte enrichit le poème des nouveaux repères et événements lui servant de support : emprisonnement des leaders kabyles en 1985 (Ligue des droits de l’homme et enfants de chouhada), Journées d’Octobre 1988 où Matoub lui-même reçut une rafale de Kalachnikov, émergence de partis politiques islamistes – en particulier le FIS – et avènement du terrorisme islamiste dont il sera la victime (kidnappé en 1994).

On remarque que, au-delà d’une certaine vision poétique ou de représentation des choses qui assimile destin collectif et destin individuel, Matoub a eu à vivre physiquement, dans moult situations, cette forme d’imbrication de destins. Privilège de poète rebelle et provocateur – au sens katébien du terme – ou simple et éblouissante contingence, le résultat étant, en tout cas, des plus délicieux.

Lorsque la métaphore s’incarne dans le corps et le geste de la réalité, elle prend les dimensions de la geste et du verbe démiurgiques..

‘’Le bateau ivre’’  ou le destin collectif de l’individu


Le texte de A Tarwa L’hif est sorti en 1986 dans un album qui compte trois autres chansons. Il s’étale sur environ une demi-heure, occupant ainsi une face complète de la cassette. La sortie de l’album a eu lieu une année après les événements de 1985 que l’historiographie nationale n’a pas encore bien mémorisés. Pendant les jours torrides de l’été de  cette année où fut commémoré avec un faste indécent le 23e anniversaire de l’Indépendance, des militants politiques et associatifs activant dans la clandestinité imposée par le parti unique ont été arrêtés et emprisonnés dans le pénitencier de Berrouaghia. Ils furent des dizaines : fondateurs de la Ligue algérienne des droits de l’homme, membres de l’Association des enfants de chouhada, membres du parti clandestin le MDA,… Déjà, lors de la journée de l’Aïd El Adha, à l’aube, la caserne de police de Soumâa à Blida fut investie par les éléments islamistes appartenant à la branche de Bouyali et Chabouti. Ils emportèrent des armes et se replièrent par la suite sur les monts de l’Atlas blidéen entre Larbâa et Tablat. Les services de sécurité ne viendront à bout de ce groupe que quelques mois plus tard. De son côté, l’élite kabyle a été étêtée et la presque totalité des activistes a été arrêtée (Ali Yahia, Saïd Sadi, Hachemi Naït Djoudi, Ferhat Mehenni,…). Le 5 septembre, ce sera le tour du poète Lounis Aït Menguellet à qui – parce que faisant la collection de vieilles armes dans son domicile – il sera reproché de ‘’détenir des armes de guerre’’.  Le chanteur sera condamné à trois ans de prison.

A l’étranger, c’est grâce à la présence d’esprit de journalistes français venus couvrir le rallye Paris-Alger-Dakar qui, à l’époque passait par notre pays, que l’écho de la répression a pu franchir les frontières. Des équipes de journalistes de la presse écrite, de la radio et de la télévision ont pu fausser compagnie à l’institution de Thierry Sabine à partir d’Alger pour se rendre en Kabylie afin de faire des reportages sur les manifestations de la population qui demandait la libération des prisonniers.

Cinq ans après le grand réveil de la Kabylie, appelé Printemps berbère, toutes les tentatives d’exercice de la citoyenneté émanant de la société sont écrasées par la machine infernale de la répression de l’État-parti. Les espoirs et les ambitions de la partie la plus éclairée de la société se transformèrent en d’affligeants désenchantements et en de lourdes interrogations. Cette forme d’impasse politique et sociale aura pour terrain d’expression idéal la chanson. Chez Aït Menguellet (l’album Asefru) et Matoub (l’album Les Deux compères), les événements et les questionnements qu’ils charrient transparaissent ouvertement ou en filigrane selon le style de chacun de ces deux poètes.

C’est après Les Deux compères que Matoub produira A Tarwa L’hif. Le texte est bâti sur une logique mêlant la narration et la réflexion, le présent et le passé, le destin individuel et le destin collectif. L’on a rarement vu un texte aussi dense et aussi synthétique prendre des développements tentaculaires au point de mêler les détails de la vie privée du chanteur aux grandes préoccupations du pays, voire de l’homme en général.

Le désenchantement se lit de bout en bout tout au long de ce texte. L’auteur revient de ses illusions en mettant en relief le craquellement des amitiés militantes face aux appâts dressés par le pouvoir politique. Le jeu du sérail est vraiment serré ; il crée des déchirures et sème la zizanie dans le corps de la société qui lui paraît comme un ennemi en puissance, voire en acte. Suivent alors les échanges d’accusation, de calomnies et d’invectives. La méfiance règne en maître, et le maître de céans, le prince pour bien le nommer, se met en spectateur, jouissant de ces prouesses et jubilant d’ivresse de pouvoir.

Adverse fortune

Pour exprimer la complexité d’une telle situation, Matoub Lounès a eu recours à une voie de narration qui prend les allures d’une véritable épopée. Dans toutes les scènes qu’il a eu à présenter, il donne l’impression – voire une nette image – que sa personne est mêlée, parfois enfoncée jusqu’au coup, dans cette terrible aventure du pays. Infortune, exil, abandon de la famille, mobilisation forcée pour des causes étranges et étrangères par la volonté du prince, déréliction humaine. Tout cela suit la trame et les péripéties d’un récit d’un individu auquel s’identifie le chanteur.

On retrouve aisément les grandes préoccupations exprimées par Matoub dans d’autres chansons politiques antérieures, comme on retrouve aussi, émaillant le texte par-ci par-là, des thèmes développés par Aït Menguellet, Ferhat Imazighène Imula ou inspirés de la mémoire et de la culture populaires. Mais la verve et le mordant de Matoub ont donné à la chanson des couleurs et des accents particuliers.

La tendance prononcée de Matoub pour une rhétorique et une emphase kabyles insérées dans un contexte moderne est ici confirmée et consacrée. A partir d’éléments de la culture populaire, il construit une sentence telle que celle-ci : « La laine qui est blanche, si elle était portée par des lions et non des brebis, rares seraient ceux qui en porteraient la tunique. »

Le désillusionnement issu du non-aboutissement des luttes engagées par la société et son élite pour l’émancipation citoyenne et le recouvrement des droits culturels a entraîné avec lui des goûts d’amertume que l’on retrouve dans la plupart des chansons kabyles à partir de 1981 : Tivratin, Askuti, Arrac n’Ldzaïr de Lounis Aït Menguellet et toute une série de chansons de Matoub ont essayé de décrypter les tares et les failles de la société qui ont fait que ses luttent n’aboutissent pas. Intérêts personnels divergents, appât du gain, corruption et d’autres ‘’vices rédhibitoires’’ qui donnent une image peu flatteuse de soi. Aït Menguellet disait que «ce sont vos propres figures que vous redoutez de rencontrer (en vous regardant dans le miroir)».  Le mal, en quelque sorte, est en nous. Mais la critique du pouvoir tyrannique, ‘’corrompu et corrupteur’’ et se voulant éternel est plus que jamais argumentée et mise en avant.

Le mal se trouve plus généralisé et plus insidieux que l’on a tendance à le croire. Il ne se limite pas aux sphères du pouvoir. C’est l’organisation de la société et la culture dominante qui tracent les limites du ‘’raisonnable’’ et du ‘’politiquement correct’’. Là où le pouvoir de l’argent évince les valeurs ancestrales de vaillance et d’honnêteté, il ne reste que des caricatures de la morale.

‘’L’imposture mène notre monde’’

A la recherche de la vérité, le personnage de A Tarwa L’hif  se démène et se fourvoie. « C’est la vérité blanche comme suaire qui fait de moi que dans tous ces pièges je me perds », dit-il.

Le règne de la médiocrité et la marginalisation des compétences et des valeurs sûres sont un mal qui ronge la société depuis l’Indépendance du pays : « Ô malheur, ô désastre que la vie nous offre ! Les sots deviennent des astres et l’homme bon traîne encore. »

La reconnaissance des hommes de valeur ne vient, quand elle vient, qu’après leur disparition : « C’est après qu’il meurt qu’on accorde à l’homme sa valeur. » Mais, ajoute Matoub, à quoi cela va servir ?

 » Même si de son vivant
On le prenait pour un sot,
Aujourd’hui si on l’orne de beaux mots,
On sait qu’il est perdu à jamais.
Avec un amas d’ignominie
Semée de misère et d’infamie.
Il était à bord d’un vaisseau trouble,
Mit le pied dans une mer profonde.

Pris par l’onde ;

Son exploit devient proverbial. »

Le texte est plein de références à l’histoire politique récente de notre pays. Les allusions à certains faits réels sont très visibles : assassinats d’hommes politiques, marginalisation, vengeance… « Combien de ceux qu’ils ont étranglés à qui, vivants, ils devaient allégeance et vivats ! »

La verve et la rage de Matoub de vouloir dire, communiquer, exploser (ad ibbaâzaq !) sont sans doute contenues dans cette envolée courroucée :

« Écoutez-moi bien, ô vous que je connais :
Si vous voyez que je me trompe,
Sur ma tombe, vous pouvez cracher. »

Contrairement au style pondéré d’Aït Menguellet (« Si vous voyez que je me trompe, rendez-moi au droit chemin », dit-il dans Tivratin), Matoub enfourche une monture fougueuse chez laquelle le mors et la bride sont tous les deux lâchés. Ce style ‘’irrévérencieux’’ exprime en fait une très grande sensibilité du chanteur. Cela est valable pour toutes les parties de la chanson où la vie privée du ‘’protagoniste’’ se trouve mêlée de force à la philosophie et  l’architectonie du texte.

‘’Consolez-vous, chers parents,
Puisque la vague du temps
M’a ravi à vous.
Ceux-là que nous supposions instruits,
Une belle fraternité,
Aujourd’hui me mettent à l’index.
Ils se sont concertés sur mon nom
À le souiller pour de bon
Qui l’entendra frémira.
Ainsi, la vie m’a réservé
Une place parmi les chiens
Qui me dévoreront à leur faim’’.

Et c’est en explorant la vie intérieure des personnages et leur statut social que Matoub fait l’usage le plus subtile et le plus étendu des figures de la rhétorique (métaphores, allégories, paraboles,…) au point de vouloir nous embarquer dans un périple romanesque où sont décrits les moments de l’assemblée de village où le personnage est rejeté et méprisé par ses pairs, le vaisseau imaginaire qui l’emportera  sur une mer en colère vers une destination inconnue, le message de divorce envoyée à sa femme…

Avec A Tarwa L’hif, c’est à un véritable voyage que nous invite Matoub dans les dédales de l’organisation de la société, dans les arcanes souillés du pouvoir politique et du pouvoir de l’argent et, enfin, dans les labyrinthes et les tourments de la vie individuelle. Dans tous ces jeux d’intérêts et de guerre éternelle où l’homme est vu comme l’ennemi de l’homme, Matoub, comme Aït Menguellet dans Ammi, dresse l’amère sentence : « L’imposture mène notre monde. »

par Amar Nait Messaoud

ladepechedekabylie

HINDI ZAHRA, LES ÉVASIONS BERBÈRES

Originaire du Maroc, la chanteuse autodidacte sort un premier CD entêtant sur le thème de la douleur.

Hindi Zahra est une femme à tout faire. Elle a écrit, composé, chanté, mixé et produit son premier album. En neuf mois,«comme pour un bébé». De fait, Handmade lui ressemble : chaleureux et mélodique. Plongée d’emblée dans une atmosphère artistique – sa mère est chanteuse et comédienne -, Hindi Zahra est une autodidacte ; enfant, elle découvre «qu’improviser, c’est composer».

Ado, elle prend des cours de chant lyrique «très stricts», mais stoppe vite, bien décidée à «inventer quelque chose qui [lui] ressemble». Tout commence sur la scène de bars parisiens – après une enfance marocaine, elle a rejoint la capitale. Elle parle d’un rapport «épidermique» avec le public. Ensuite, c’est son tourneur qui lui fait remarquer : «Si tu veux faire plus de concerts, enregistre un album.»

Cocon. La trentenaire loue alors un studio pour «manger, dormir, recevoir des amis, apprendre comment fonctionnent les logiciels», et accessoirement prendre le temps de s’en faire un cocon, un peu isolé du monde. De cette chrysalide émergent 12 titres douillets – «moi à 200%». Qui ont pris leur temps, notamment celui de se roder sur scène, pendant une bonne partie de l’année dernière.

Chantés en anglais ou en berbère, ses «deux langues de prédilection», les morceaux, qui commencent par bercer, s’appuient sur«la mélodie pour amener à l’émotion». Comme pour le titre Imik Si Mik, dont le «imik si mik/ afousse hou fousse» se fredonne telle une comptine. Idem le planant et sensuel Kiss & Thrills, dont l’entêtant «in your heart/ in the dark» rythme la chanson.

Tristesse. Les textes laissent affleurer une douleur. Hindi Zahra reconnaît volontiers les insomnies qui ont émaillé l’enregistrement. Ainsi le titre Oursoul – ici «le passé révolu» en berbère, mais aussi «notre âme» en anglais –, sur un mariage forcé et la tristesse… de la fille comme du garçon.

Hindi Zahra en convient, elle parle surtout d’amour, pas seulement entre hommes et femmes d’ailleurs, avec pour postulat de «rendre la douleur paisible». A propos des quarante minutes de douceur mâtinées de lumière que constitue ce Handmade, elle précise encore avoir «voulu que ce soit une grande fête, en ouvrant une autre perspective sur la part sombre que suggère la tristesse».

«Nuages». A l’image du clip de Beautiful Tango, réalisé par le cinéaste Tony Gatlif, chez qui elle apprécie «l’élégance de montrer la beauté là où on n’est pas censé en trouver». Les images ont été tournées au Maroc, en partie dans des tanneries, entre couleurs et puanteur. Les chansons sont construites avec la voix au centre, puis les guitares, les percus et le reste ensuite, «dans les nuages». Filant la métaphore culinaire, Hindi Zahra se voit «comme un couscous, un mille-feuille ou une paella ; tout ensemble et pourtant ça fonctionne».

Par ANNE-LAURE POISSON

Liberation.fr

SI MOH REVISITE LA MUSIQUE KABYLE

Il est temps à présent de compter Mohamed Ahmane, alias Si Moh, parmi les étoiles de la chanson kabyle contemporaine à l’avant-scène de laquelle se tiennent Lounis Aït-Menguellet (né en 1950), Ferhat Mehenni (né en 1951), Hamid Cheriet dit Idir (né en 1949), Matoub Lounès (1956-1998) et Ahcène Zermani dit Takfarinas (né en 1958). Avec eux, le chanteur-poète de Tizi-Ouzou (né le 13 mai 1959) porte les nouveaux courants d’une musique algérienne dont l’antique métissage permet les interprétations les plus novatrices qui n’altèrent en rien les racines multiples du registre kabyle fondateur. La musique arabe, dont l’histoire traverse les siècles depuis les splendeurs de la Syrie et de la Perse anciennes, s’est nourrie d’influences profuses, sachant que le royaume Al-Andalus où se côtoyaient Arabes, juifs ou chrétiens wisigoths est demeuré le symbole de cette ouverture intellectuelle, qui fut réduite au néant en 1492 par les rois catholiques.

Quand soliste et chœur dialoguent…

Les influences arabe et andalouse se devinent aisément lorsqu’elles ne se lisent pas, à partition ouverte, suivant les strates joliment encombrées d’un palimpseste que le trop discret Si Moh assemble avec une lenteur savante et résolue depuis 1985. Des dix albums édités, de 1985 à 2010 : Hemlagh (J’aime), Our Neslib Ara (On n’est pas fous), Yir Argaz (L’Homme sans scrupule), Thikwal (Parfois je me dis), Cheikh (Le Sage), Tati Batata (La Parlotte), Inas Iwulim (Dis à ton cœur), Thaqsit (L’Histoire d’un opportuniste), Amuli Amegaz (Bon Anniversaire) et Tamughli (Le Regard), des dix albums édités, dis-je, les musicologues retiendront les particularités d’un chant tantôt basé sur la forme responsoriale syllabique, c’est-à-dire ce moment de grâce où le soliste et le chœur dialoguent accompagnés des battements de mains ou bien immergés dans la profondeur d’une derbouka frappée convulsivement, tantôt mû par la récitation épique d’un unique interprète soutenu par le jeu rutilant des cordes pincées de la guitare qui confère à la mélodie une austérité presque dramatique.
Mais il ne sert de rien de prétendre que la mélopée de Si Moh, sa souplesse rythmique, le phrasé et le grain de sa voix s’apparient à du Menguellet ou à du Ferhat : le rythme respiratoire est tout autre et la voix est d’airain. Il ne sert de rien non plus de lui trouver quelque analogie avec l’anarchiste et pacifiste français Georges Brassens. Gardons-nous d’étiqueter, à l’instar des épiciers du show-business, un ménestrel dont l’authenticité intimide et nous éloigne à cent lieues des réclames emphatiques et dérisoires des éditeurs phonographiques, quand bien même, dans les coulisses d’un apprentissage esthétique et précoce, il s’est imprégné des poésies de Louis Aragon, des textes de Jacques Brel et de Gilbert Bécaud, de la douce gravité du folk de Joan Baez et de Bob Dylan.

L’art du prélude

Trois guitares sèches, un clavier et des percussions complétées quelquefois d’une flûte et d’un luth filent les harmonies les plus aériennes. Les musiciens et les choristes qui l’entourent concourent à une fusion polyphonique rare. L’homme est un bon, un excellent rythmicien des mots, un amoureux de la langue, un expert en trouvailles sémantiques et en délicatesses prosodiques. Le mélodiste et poète qu’inséparablement il est devenu, doit être écouté et étudié selon sa singularité et son unicité. Avec lui, les auditeurs fidèles revisitent le foisonnant métissage du corpus musical kabyle. Les plus érudits d’entre eux étendent à raison la généalogie de ses compositions (les premières remontent à la fin de la décennie 1970) bien au-delà d’un continent berbère à la fois perméable aux cultures étrangères et vétilleux à sauvegarder les coutumes, l’idiome et les musiques qu’il recèle au plus intime de son identité. Ainsi les préludes instrumentaux qui introduisent la plupart de ses chansons donnent lieu à de véritables exercices de style et d’improvisation dont l’écoute rappelle tantôt les esquisses de l’époque romantique et les épisodes de la rhapsodie, tantôt l’introduction de la fugue et la suite cahotante de notes dispersées à la faveur de laquelle l’exécutant vérifie l’accord de son instrument ou teste ses cordes vocales…

Cantilènes, ballades et lamentos

Cantilènes nostalgiques, ballades guillerettes, lamentos plaintifs, le répertoire allongé d’une centaine de créations décline les faits et gestes de ses contemporains de la capitale du Djurdjura. Allez savoir pourquoi la beauté aride et la sérénité minérale du massif montagneux de la Grande Kabylie sont à jamais liées dans mon esprit à la complainte d’Amuli amegaz (Le Passé revisité) ? Une lettre déchirée est retrouvée au fond de quelque malle délaissée et la lecture de bribes de phrases déclenche une rétrospection imagée et nostalgique des temps anciens. Un vecteur identique, un tapuscrit à demi effacé, nourrit Tawriqt (L’Histoire éparpillée, de l’album Amuli amegaz) qui incite à réapprendre quelques pans tragiques de l’Histoire de l’Algérie dont l’insurrection de 1871 et la tragédie de la déportation au bagne de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie. Chant à l’unisson cadencé par le bendir, un autre titre, Le R’ur’ (La Tromperie, de l’album Amuli Amegaz), reprend un genre jadis pratiqué dans les zaouïas (écoles coraniques), l’adekker ou poésie chantée. Si Moh stigmatise le matérialisme d’une époque qui érode peu à peu l’individualité et exhorte ses semblables à recouvrer le chemin de l’authenticité spirituelle. Le fabuliste tempère la gravité de Tayazit’-iw (Ma Poule, de l’album Amuli Amegaz) en dotant le gallinacé d’une puissance d’évocation peu banale, mais c’est afin de fustiger le pouvoir des dominants et déplorer l’infortune des dominés. Avec Chubagh-Kem (On a les mêmes appréhensions toi et moi, de l’album Tati Batata), le phrasé mélodique se déhanche joliment, mystérieux et subtil, comme danse une flamme, afin de célébrer le sentiment amoureux et la femme : chaque fois, la parole sensuelle se frotte à la jouissance de la musique pour exalter l’être aimé. L’humour est salvateur dans Martin qui narre le retour du front d’un poilu de la Première Guerre mondiale 1914-1918 à la bride d’un… mulet. Le musicien Said Aït Mouhoub a plaqué des notes sur l’historiette vraisemblablement influencée par les aventures de Charles Bailly, le prisonnier évadé d’Allemagne en 1943 que joue Fernandel dans le film d’Henri Verneuil, « La Vache et le prisonnier ». Il a également raconté, paroles et musique, L’Étrange Voyage (Lexlacel) des candidats à l’émigration clandestine qui jettent leur désespérance à la mer sur des embarcations de fortune. Un troisième comparse, Kadi Abdenour, a prêté sa plume au titre éponyme du récent album Tamughli (Le Regard) où le doute s’insinue à travers la porte entrebâillée de l’amour.
Tout florilège exclut fatalement de belles pépites au milieu desquelles je veux épargner, pour conclure, celle-ci, du plus bel orient. Urgagh themouthedh (J’ai rêvé que tu étais morte, de l’album Yir Argaz) revivifie un des vieux mythes de l’humanité, l’expérimentation du son par les populations du paléolithique au moyen de la première flûte à encoche fabriquée à partir d’un os animal ou humain. Le caractère magique de la symbolique antédiluvienne se conjugue ici à la perpétuelle renaissance de l’amour. Écoutez cette ritournelle :

J’ai rêvé
que tu étais morte et enterrée.
Tes os,
je les ai exhumés.
De l’un d’eux,
j’ai fait une flûte.
À peine y ai-je soufflé,
j’ai fait renaître ta voix

Claude Darras – Critique d’art et de littérature