Idir, la légende vivante de la chanson moderne algérienne d’expression amazighe se produira le 15 mars prochain à l’Olympia de Montréal dans le cadre de la 21ème édition du festival du Maghreb. Il se produira également à Québec le 16 mars avant de partager un souper-hommage à son honneur à Ottawa organisé par la fondation amazighe Teregwa et l’association ACAOH. Idir est né à Ath Yenni en 1949, en Kabylie. Il a donné vie à’’ A Vava Inouva’’ en 1975, ‘’La France des couleurs’’ en 1999,’’ Identités’’ en 2007 et ‘’Adrar Inu (Ma montagne)’’ en 2013. En somme, il a 40 ans de carrière à son actif. Une carrière marquée par l’authenticité de l’âme kabyle, des chants des berbères du Sud algérien, des musiques du monde et surtout d’ouverture sur les autres cultures et les nouvelles générations d’artistes de tous les horizons. Idir est une œuvre qui se renouvelle tout en demeurant elle-même, car elle est peuplée de sons du terroir amazigh et du discernement qu’il doit à sa sagesse et à sa maturité artistique et politique. Il est à souligner que le groupe Berbanya fera la première partie du spectacle.
Quelques jours avant son spectacle, l’invité des Productions Nuits d’Afrique, en collaboration avec les Productions Revel et le FCNA, a accepté de nous accorder cet entretien via le téléphone de la capitale française, Paris.
Le 15 mars, vous allez vous produire à Montréal. Ce n’est pas la première fois que vous veniez au Québec. Quelles sont vos impressions suite à vos passages à la métropole québécoise?
Quand je suis venu la première fois, j’ai trouvé notre communauté en pleine reconstruction et avec les habitudes du pays. J’ai trouvé également que le combat pour l’amazighité a la même puissance, mais pas les mêmes méthodes. Je l’ai trouvé plus cohérent quant aux objectifs à atteindre même si les divergences politiques persistent. Nous avons besoin d’un fédérateur qui pourrait nous réunir. D’ailleurs, ces jours-ci, j’ai rencontré Said Saadi (RCD) et Ferhat Mhenni (MAK) pour comprendre leur point de vue et surtout pour me situer dans ce combat. Il faut souligner que la liberté de l’artiste ne réduit en rien ses convictions et le fait de ne pas suivre une ligne politique donnée ne veut pas dire qu’il n’est pas prêt à donner du sien pour sa cause.
L’année 2013 est marquée par votre retour avec un nouvel album. Idir était vraiment absent de la scène artistique ?
Je ne le pense pas. J’ai continué à travailler mon art autrement. Il y a aussi la pression de la maison de disque sur mes épaules. Il fallait que je lui fasse un disque. J’avais une dette envers elle. Il faut rappeler que je ne suis pas venu à la chanson par vocation. Je fais partie de cette génération heureuse d’avoir réussi notre révolution, mais brimée par la politique du pouvoir qui censure sa langue maternelle. La chanson m’a aidé à exprimer mes doléances voire mes revendications. En France, j’ai chanté les thèmes qui me préoccupent comme Tiwizi, Tamazight et l’identité avec d’autres mots. Dans cet album, j’ai effectué un retour à la musique ancienne de mes ancêtres, à l’univers de ma jeunesse et aux artistes talentueux, mais méconnus du grand public.
Si on parle de votre retour, qu’est-ce que Idir a ramené de nouveau par rapport à son premier album? Seriez-vous comme Kateb Yacine, l’homme d’une seule œuvre? Serait-il difficile de surpasser Vava Inouva?
Je ne prends pas »A Vava Inouva » comme cible. Les gens ont fixé certaines choses dans leur mémoire par rapport au premier album, car il a eu un impact très fort. Je revendique »A Vava Inouva’,et je l’aime, car elle réveille beaucoup de choses en nous. Ce texte de Ben Mohammed a su traduire ce qu’a vécu ou senti notre peuple.
Quels sont les thèmes qui reviennent le plus dans votre dernier album?
Il y a trois domaines. D’abord le domaine de la rythmique qui consiste à restituer dans une chanson traditionnelle les sons tels qu’ils étaient. Il m’a fallu entreprendre de longues recherches pour retracer le timbre tel qu’il était. La chanson ‘’Said Oulamara’’ que ma mère m’a transmise est un parfait exemple de cette recherche. Donc, j’ai fait une sorte de panorama des règles de la rythmique traditionnelle kabyle avec des instruments authentiques (Tbel ou bendir et la flute) loin des instruments modernes comme la percussion. Il fallait donc préserver l’ancienne frappe et la réussir comme dans la chanson Wiz araneq. Ensuite, j’ai repris à ma manière des chansons qui ont bercé mon enfance. J’ai adapté une chanson irlandaise du 17ème siècle ‘’ Scarborough Fair ‘’ (Targit), et un chant du groupe de rock britannique Les Who ‘’ Behind Blue Eyes’’(Ayen i nessarem), en leur donnant une âme kabyle avec le bendir et les accords kabyles. J’ai enfin rendu hommage à Ahcène Mezani. C’était un grand artiste kabyle qui a vécu dans les années 40 et 50 en France, mais qui aurait fini mal sa vie en Algérie en 1984. Il aimait les bals des samedis soirs. Pour ce faire, j’ai sollicité la collaboration de la sœur de mon guitariste pour Tibougharines.
Que pensez-vous de la situation de la cause amazighe?
J’étais un étudiant révolté. J’ai grandi dans l’ambiance des thèmes en vogue comme la libération des peuples et leur souveraineté. C’était l’époque de Che Guevara. Et nous, nous luttions pour affirmer notre amazighité et la vivre. Mouloud Mammeri disait souvent qu’une identité se vit. La lute a évolué et a amplifié sa vitesse contre les gouvernants depuis les années 1980 notamment. Ceci étant dit, il ne faut dénaturer la réalité. On n’a pas été gazé en Algérie. Il faut avoir du discernement quant à cette question. Aujourd’hui, on a un passeport algérien, mais Tamazight n’est pas encore consacrée officielle dans la constitution. Aussi, on crée une chaine de télévision qui n’est autre qu’un piège pour tromper les gens et non pas pour servir Tamazight. Cette télévision dite amazighe véhicule la religion et une planète qui n’a pas de sens. Franchement, notre culture et notre identité courent un grave danger. Je ferai mon possible pour mieux servir mon identité et lui donner toute la visibilité qu’elle mérite.
La femme occupe une place très importante dans vos chansons et ce depuis votre premier album. Pensez-vous que le statut de la femme kabyle a évolué depuis votre chanson ‘’Weltma’’ (Ma sœur) et si c’est le cas en quoi?
En Algérie, la femme kabyle continue à subir toutes sortes de pressions. Le pire est que le voile ne cesse de prendre de l’expansion même à Tizi-Ouzou. Point de silhouettes des femmes kabyles d’antan. Le voile et l’idéologie qu’il véhicule sont en train de faire leur chemin. Notre société est matriarcale. Donc, tout passe par la femme, mais elle ne peut disposer d’un héritage de peur de déstabiliser la cellule familiale, voire le village. Cette femme qui est dépositaire de la culture et de l’identité subit les pires souffrances. D’où la contradiction flagrante. Les femmes le savent, mais elles sont aliénées. Elles font avec. D’ailleurs, même ailleurs comme dans des banlieues parisiennes, les filles réussissent mieux que les garçons, Ces derniers, pensant qu’ils ont tout, ne se cassent pas la tête et ne font pas beaucoup d’effort pour se construire.
La Kabylie demeure, malgré les problèmes qui la rongent, une source d’inspiration pour ses enfants. L’est-elle encore pour vous ?
La Kabylie non. Son histoire oui. Aujourd’hui, les parcours s’éloignent. Les mentalités aussi. Les codes ont changé. La liberté de culte est inexistante. Les valeurs d’avant ont disparu. Personnellement, j’ai évolué ailleurs. À l’extérieur, je travaille avec les occidentaux, les Français notamment, mais, une fois rentré chez moi, je suis en Kabylie. Le resserrement des libertés est un fait en Algérie. Le pouvoir a orchestré la décomposition de la culture et de l’éducation. Parler du ciel bleu ou du développement durable relève de la fiction. La mosquée s’occupe d’autre chose. En 1962, on s’est attaqué à la langue française pour ne pas être français, mais on a épousé la langue arabe pour être arabe ou s’allier aux Arabes. Tout ça a donné vie à une génération hybride.
Ces 10 dernières années, Idir associe pas mal d’artistes et de cultures dans ses productions. Pourriez-vous nous en éclairer?
Il est vrai que quand on chante dans une langue minoritaire, on n’a pas accès à un large auditoire. Du moins il est difficile d’y accéder. Un jour, j’ai rencontré une femme chez Sony qui m’a dit : « Il te faudrait un disque avec des gens connus et tu seras doublement gagnant. Tu auras de la visibilité et tu auras ainsi le pouvoir de parler de ta culture. » C’est ainsi que j’ai rassemblé des grands noms comme Goldman, le grand corps malade pour ne citer que ceux-là et j’ai partagé avec eux mes expériences en tant qu’artiste et en tant que Kabyle.
Qu’est-ce qu’elle vous apporté cette ouverture en tant qu’artiste et en tant que Kabyle?
Cette expérience m’a appris également à concevoir la musique autrement que d’une façon horizontale. Les jeunes la font verticalement.
Ces derniers temps, vous vous produisez en compagnie de votre fille. Pensez-vous que vous lui avez contaminé votre virus artistique?
C’est un plaisir de jouer avec ma fille. Ma fille a fait également du théâtre. Aussi, montrer une jeune fille entrain de jouer du piano loin des clichés entretenus fait la différence. Je l’encourage à vivre sa passion. D’ailleurs, elle a eu un prix pour sa première composition pour la musique de ‘’Sans ma fille’’. Elle aime la Kabylie et s’intéresse de très près aux thèmes traditionnels kabyles.
La mère, que représente-t-elle pour vous?
Elle représente tout. Cette femme était ma mère, mais aussi une grande poétesse. Ma mère et ma grand-mère m’avaient beaucoup influencé. J’ai vécu avec elles des moments inoubliables. Quand je revenais de l’école, même mes études je les faisais avec des bougies, elles nous racontaient des contes et des légendes. Je les ai toujours charriés. Ma mère est en moi.
Parlez-nous de votre collaboration avec Enrico Macias?
Il est venu me voir avec un musicien et on a échangé nos points de vue sur l’histoire des Berbères. Il m’a exprimé le vœu de chanter quelque chose en berbère. On a donc choisi la chanson ‘’Snitra’’ (Ma guitare) et j’ai dû changer quelques mots qui sont durs à prononcer pour lui. On n’a pas le droit de lui dénier son appartenance à cette terre algérienne avec son sang et ses larmes. Il y est né. Tout n’est pas noir ou blanc. Je ne suis pas forcément d’accord avec ses idées politiques et je garde toujours ma position vis-à-vis de la question palestinienne. En démocratie, on ne peut pas avoir les mêmes points de vue sur certaines questions. Nous avions eu une collaboration purement artistique.
Dans vos œuvres, on voyage entre les traditions kabyles et l’ouverture sur l’époque et sur le monde. Comment peut-on entreprendre un tel périple en demeurant soi-même?
C’est simple de suivre le fil conducteur en étant fidèles aux valeurs des ancêtres qui pourraient me conduire vers la lumière. Ça me permet de demeurer moi-même, attaché à mes racines. Je m’enrichis des autres, mais je ne change pas d’identité.
Djamila Addar
Montréal, 4 mars 2013
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Les liens:
http://www.festivalnuitsdafrique.com/serie/festival-de-musique-du-maghreb
http://www.festivalnuitsdafrique.com/spectacle/idir/15/mar/2013
Tiregwa (tamazgha.ca)
Association ACAOH (acaoh.ca)