Ass-nni est le titre du nouveau roman de Amar Mezdad, venu achalander un peu plus la petite bibliothèque berbère. La trame se situe dans les années 90 à cette époque charnière de notre histoire récente qui a vu le pays avorter de l’espérance démocratique et accoucher d’une tragédie. Mohand Ameziane est un homme comme il en existe tant en Kabylie : ordinaire et à la vie sans sailles. Sa mère languit dans l’attente du retour d’un autre de ses fils parti au Canada. La maladie, thématique toujours présente dans l’œuvre de Mezdad, lui-même médecin de formation, la ronge tandis que le destin refuse de lui sourire en donnant une postérité à Mohand Améziane. Cette bru qui n’enfante pas devient la cible toute désignée de ses allusions désagréables. Celle-ci encaisse sans broncher, comme toute belle-fille de bonne famille.Ce personnage de la mère permet de passer en revue une somme de croyances et une représentation du monde, marquée par les mythes et les fétichismes, propres à la société kabyle. Des croyances en disparition que le roman de Mezdad consigne ainsi pour les générations futures.Comme tous les créateurs romanesques de langue kabyle, Amar Mezdad semble écrire tout en songeant à la destination de son œuvre. Celle-ci se ressent d’un certain souci pragmatique et hésite à s’offrir le luxe de la “gratuité”. Pensant sans doute aux potaches, Amar Mezdad a abouti à une forme de roman documentaire : le livre est une succession de tableaux plus ou moins indépendants, les chapitres se déploient dans une relative autonomie de façon à pouvoir servir pour des textes choisis de manuels scolaires. D’autres s’intercalent comme des avenants qui éclairent simplement sur des situations fortes ou sur des enseignements moraux, comme cette parabole de ce roi en quête de rajeunissement. Le roman décrit un écoulement des jours plutôt tranquilles mais charrie une ambiance de précarité et d’inquiétude. Il n’y a pas à proprement parler d’intrigue. Nous sommes dans l’ère des files d’attentes, dans ces usines tournant en pures pertes où les travailleurs gravissent la hiérarchie au hasard des clientélismes, à cet époque où l’Etat dotait de cheptel des villageois qui en détournaient l’usage, de cette jeunesse qui fuit un pays peu respirable pour des horizons d’Eldorado. Le roman zoome sur la quotidienneté algéroise faite de promiscuité et de mal-vie et introduit un jeune personnage qui revient au bled pour s’embarquer dans l’aventure du terrorisme islamiste.Après Id d wass (1990) et Adfel Urghu (2000), Amar Mezdad signe ainsi son troisième roman. Et c’est comme toujours un grand événement dans le petit landernau de la littérature kabyle.

M. Bessa

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